Mobilisation

1er août 1914 : le matin les journaux publient l'assassinat de Jaurès le grand tribun socialiste, sa mort cause une vive affliction dans tous les milieux ouvriers.

A 4 heures de l'après-midi, ma femme me réveille pour aller en ville. Dans le tram nous apprenons que l'ordre de mobilisation est ordonné. Nous nous dirigeons vers le Petit Provençal. La foule de partout est nerveuse et compacte, l'on s'aborde sans se connaître. Je vois un exemplaire de l'affiche dans la salle des dépêches du Petit Provençal. Personne n'a l'air de se rendre compte de ce que cela en résultera. L'on semble se dire depuis longtemps « on le prévoyait ». Nous retournons à la maison en passant par la rue Vitalis. J'y vois tous mes amis. Personne ne faillira à l'ordre de son fascicule.

Rentré à la maison, nous soupons en causant un peu de tout et vite je pars de suite après pour la Capelette. Tout est animé, le bar est plein. Le patron soupe avec sa famille. L'on cause avec animation. Nous retournons au bar ; tout le monde est surexcité. Rentré au magasin, le patron ferme les portes. Je ne puis me coucher pour deux heures devant moi. Je descends en ville. Quelques bandes de jeunes manifestent en criant « à Berlin ! ». Ils ne savent pas la peine que cela donnera. Je rentre de nouveau au travail.

Journée du 2 aout : c'est dimanche, c'est le premier jour de mobilisation. Après avoir touché ma paye, je remercie le patron étant mobilisable. L'après-midi, je vais dire adieu à mon frère à Saint Barnabé, à mon beau-frère à la rue du Petit Camas. Je n'y rencontre que ma belle-soeur Angèle. Nous causons amicalement. Ludovic n'y est pas ainsi qu'Auguste ; je me rends aussi chez mon beau-frère Auguste, il ne s'y trouve pas non plus. En rentrant chez nous, l'on nous y raconte que mon beau-frère y est venu avec sa famille. Nous nous mettons à table ; l'on n'ose pas parler. Chacun de nous est tout à ses idées. M. Faure arrive et nous dit qu'il s'en va souper chez son beau-frère. Lui aussi à l'air soucieux. Il a envoyé sa femme et ses trois enfants chez son père dans leur pays. Après le souper l'on se couche car on est fatigué et le lendemain matin il faudra être matinal. 

3 aout : dès 4 heures, je saute du lit et je me rends à la Capelette voir avant de partir et embrasser mon père et les amies. Tout le monde est déjà levé et il y a déjà de l'animation au magasin. Le patron fait son paquet et nous allons boire un coup chez Rourre. Je serre la main à M. Vidal et aux amis. Je retourne au magasin embrasser mon père, la patronne, les petits et le collègue Nine. Le patron quitte le magasin pour se rendre à la manutention où il doit être versé. Moi je rentre de suite à la maison. En chemin de nombreux camions de toutes sortes sont remplis de mobilisés. Tout le monde s'interpelle, l'on chante même, personne qui soit triste. Beaucoup de femmes donnent le bras à leur mari. Arrivée à la maison, ma femme qui a tout préparé est prête elle-même et l'on se dirige vers la gare. Là, personne ne chante mais chacun cherche un ancien ami, un collègue pour faire route ensemble. A 5h50, non sans émotion car je ne veux pas le montrer, j'embrasse ma femme et ma fille. Ah ! Que j'aurais de peine à décrire ce que le cœur en pense de cette cruelle séparation. Enfin il faut faire son devoir. Je leur dis un sincère au revoir et je me dirige vers une file de wagons qu'un officier nous désigne. (Ligne Vintimille). J'y rencontre l'ami (Mignon) Abondant. Dans un wagon à bestiaux, en route tout le long de la voie ferrée, tous les 50 mètres une sentinelle est postée. Ce sont les hommes de la réserve de l'armée territoriale. Le trajet est long, de partout l'on nous acclame. Pour se distraire, l'on mange, l'on boit. Je fais goûter à mon lieutenant qui est assis près de moi de la mandarinette que mon beau-frère m'avait remise le matin, lorsque, avant de me rendre à la gare, j'étais allé chez lui pour les embrasser, ce qui fut encore pour moi une douloureuse séparation. Après l'avoir dégustée, l'officier félicite le fabricant. La bouteille y passe à moitié. Enfin à 6h et demie nous arrivons à Villefranche. Là , il n'y a personne pour nous recevoir, ni nous renseigner. Impossible de savoir où aller. Nous sommes ainsi plus de 1000. Je rencontre l'ami Ventre et Julien avec lesquels nous soupons ensemble au bord de mer. En allant boire le café nous rencontrons les amis Mater et Aubert qui se joignent à nous. On boit quelques petits verres. Il est minuit avec Ventre et Julien. On va se coucher chez un boulanger auquel j'ai demandé l'hospitalité 3 heures avant, M. Chant. A la première heure, avec quelques amis, nous cherchons où se rassemble notre compagnie la 1ère du 7ème bataillon territorial alpin. 1 capitaine, 2 lieutenants, 1 sergent major désignent aux hommes qui se présentent l'endroit du rassemblement. Nous sommes ainsi 500 environ qui tournent et retournent. Je serre la main à plusieurs amis. M. Bouté, le représentant de la maison Rémusat, les minotiers de Marseille, le sous lieutenant Julien notre ancien adjudant du 27ème et bien d'autres. Le capitaine dans l'espace de deux heures nous a bien rassemblés 20 fois et me semble un peu lourd. Enfin nous sommes équipés.