À l'infirmerie
7 novembre 1914 : à l'infirmerie
Au matin je me dirige à l'infirmerie pour y passer la visite, le major marque sur son cahier « en observation à l'infirmerie ». Je vais prendre mon sac et y retourne. Dès mon arrivée, les réflexions que je m'y fais sont que si j'y reste c'est qu'il faudra que je sois bien malade pour y rester longtemps car il ne s'y trouve aucune mesure d'hygiène, pas seulement un peu de propreté. Une remise dans laquelle il y a déjà le cheval de l'infirmerie, pas de porte, de la paille sale où il faudra se coucher. Les rats y vivent en famille. Un rien me retient de quitter le poste mais je ne puis. Enfin je reste là avec une douzaine d'éclopés qui ont l'air, eux, heureux de s'y trouver. Une petite attaque sur la gauche du bataillon ayant eu lieu bientôt, on transporte une dizaine de blessés plus ou moins graves. Mon ami Boldy sergent notamment est blessé sérieusement au genou. Il y a eu aussi deux morts. La journée se passe monotone.
23 avril 1915 : malade
Au matin la pluie mêlée de neige tombe sans discontinuer jusqu'à 2 heures de l'après-midi. De minuit à 5 heures du soir, c'est une vrai procession aux feuillées. Pour ma part j'y suis allé au moins vingt fois. A 8 heures, une grosse faiblesse me surprend et précède un mal au cœur. Je suis obligé de me coucher. Je ne me sentais plus la force de tenir sur les jambes. Je n'y voyais plus. Le collègue Nougarède sort de mon sac une bouteille d'eau des Carmes et j'en avale la moitié. Dans cet intervalle, le capitaine et le lieutenant rappliquent dans la casbah. Ils posent plusieurs questions à Saisset à propos des créneaux, des fils de fer et d'autres choses concernant la sécurité de tous. A la fin il dit qu'il a été informé qu'il y avait dans la section des cas de coléryne [cholérine] ; le sergent lui dit qu'il y en a beaucoup, même les deux caporaux. A moi qui suis allongé, qui souffre, il doit le voir. Nougarède qui a débouché la bouteille d'eau des Carmes est près de moi, à genoux , pour me la faire boire. Il n'a pas même la chose de nous adresser une simple parole. C'est presque honteux et puis que les journaux ne viennent pas nous raconter les soins paternels qu'ont les officiers pour leurs hommes. Peut-être ailleurs le fait peut avoir lieu, mais pas chez nous. On l'a déjà souvent remarqué, jamais une parole d'encouragement nous vient d'eux. Ah ! C'est pas pour eux qu'on fait la guerre. Autrement on ne souffrirait pas autant. Ah non ! En partant il dit qu'il va faire venir le major de suite; une heure après ce dernier s'amène. Il pose quelques questions à Saisset et nous demande à quoi nous pouvons bien attribuer cette épidémie. On ne peut pas être affirmatif mais il n y aurait rien d'étonnant que le mal provienne de la viande bouillie que l'on nous apporte dans des sacs qui sont tellement sales qu'ils pourraient tout juste servir à un chiffonnier. Et puis il y a un mois qu'on n'a pas bougé des tranchées, les hommes sont fatiguées, faibles, une nourriture pas trop suffisante : bouilli, lard ou fromage le matin. Enfin il ordonne de ne pas boire de l'eau, de mettre la ceinture de laine et des journaux sur le ventre. (Avec ça on ne peut pas dire que le service de santé ne prend pas de mesures énergiques pour enrayer le mal). Après ces conseils il s'en va en disant que l'infirmier va descendre et qu'il donnera une potion qu'il va faire préparer. Ce dernier arrive deux heures après et à chacun distribue sa potion. Enfin la corvée de soupe arrive. Pas nombreux ceux qui y touchent. Quant à la viande bouillie que l'on a transportée dans un seau, personne n'en veut. Je reste couché jusqu'à 2 heures. Ca ne va pas mieux mais il faut un peu se donner du mouvement et je me lève
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13 mai 1915 : Allègre devient fou
5 heures : le collègue Allègre depuis une heure nous tire souci à tous. Il se trouve dans un énervement extrême. A 8 heures son mal empire de plus en plus et à 9 heures, je suis obligé de le conduire à l'infirmerie du bataillon. Il use du couteau et de la baïonnette. Il se dit envoyé par des êtres célestes et en correspondance avec eux par le téléphone qu'il vient d'installer au tuyau de la cheminée de la casbah. Ah, pauvre garçon ; depuis une quinzaine, on le voyait venir mais on n'aurait pas cru que son mal aille si vite. Il nous donne du mal à Pagès et à moi pendant le trajet qui est long à faire pour aller à Gaschney. En le quittant à l'infirmerie il veut quand même m'embrasser. Le cœur me gonfle et en le quittant, je ne puis m'empêcher d'essuyer une larme car voilà 8 longs mois que nous faisons campagne ensemble et j'avais pu apprécier son bon cœur.