Dans les tranchées

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26 mars 1915

Il a plu toute la nuit; nos casbahs sont inondées, nos frusques sont trempées. Surtout la nuit, je suis allée en patrouille avec trois hommes pour protéger Amblard avec deux de ses hommes qui placent des fils de fer en avant de nos tranchées, d'autant plus que c'est à ce moment qu'il a tombé le plus d'eau. J'ai grelotté toute la nuit. Au matin le ciel a quelques éclaircies mais il gèle. Les hommes de soupe de retour de leur corvée, me remettent la lettre que j'attendais avec tant d'impatience. Je m'empresse de l'ouvrir et à la vue de la photographie qui représente ma petite Angèle chérie et ma femme adorée, je ne puis m'empêcher de retenir les larmes qui sortent de mes yeux. Ah quel doux et bon moment. Longtemps je reste à les contempler toutes les deux. Ah qu'elles sont belles ! Aurais-je le plaisir, le bonheur de les revoir, ces deux êtres que j'aime tant. Ah quelle joie le jour où je pourrai les embrasser et me mettre au milieu d'elle. Mais quand viendra-t-il ? Viendra-t-il seulement ? Dans un mois, dans deux, dans six ? Par moments je suis à en douter. J'en ai déjà en doute souvent mais jamais comme maintenant. Enfin espoir. Patience et courage. J'aurai si le malheur me touche la joie d'avoir les possédées sur mon coeur.

21 avril 1915

Après avoir assuré le service de jour, à 7 heures, je me décide à aller me laver, à changer de chemise et à me laver celle que j'ai sur la peau il y a 36 jours. Le soleil ne brille guère mais ça ne fait rien, l'eau n'est pas chaude. Après m'être débarbouillé au grand ruisseau qui se trouve à gauche et dont le courant est dû à la pente rapide de la montagne, l'eau y coule claire. Aussi après m'être lavé jusqu'à la ceinture et changé de chemise, on se sent bien. Jamais je n'ai tant apprécié la propreté, le bien-être que cela procure, mais en revanche jamais je n'ai tant bisqué aussi pour laver une chemise, car il n'y a pas de commodités. Enfin après deux heures de travail et de patience, j'ai pu laver aussi deux mouchoirs et ma serviette. De retour à la tranchée, je raccommode mes pantalons car si j'avais encore un peu attendu, j'aurais fait voir mon... (...)

26 mai 1915

Sur toute la longueur des tranchées qui souvent montent ou descendent, des grillages en fil de fer sont placés au-dessus de nos têtes, ce qui donnerait à penser au premier abord qu'on se trouverait dans un poulailler. Ceci est bien fait car ça a le don de protéger en partie, les hommes qui sont dans les tranchées des bombes ou grenades que lancent à profusion les Allemands. Nous avons pu nous en rendre compte le lendemain dans une attaque qu'ils nous firent. Enfin à 8 heures la relève est faite. Le 67ème que nous avons relevé est loin déjà.

Nous examinons un peu notre situation qui ne paraît pas brillante du tout et sous tous les rapports. D'abord c'est qu'il ne faudrait pas se laisser surprendre, qu'il faudra continuellement veiller car on serait vite zigouillés. J'examine la sape qu'il y a dans mon petit secteur ; elle a une profondeur d'environ 10 mètres, elle est traversée par une ancienne tranchée remplie de pierre. Chevaux de frise en avant jusqu'aux tranchées ennemies. Les sapins sont tous coupés par les obus et la terre est bouleversée de fond en comble, ce qui de fait forme un obstacle sérieux à qui voudrait traverser le chemin qui sépare une tranchée de l'autre. Mais ce qui est le plus pénible pour l'instant c'est l'odeur que l'on y respire. Ça sent le mort et a cela, il n'y a rien d'étonnant car il y a sur le Reichacker un grand nombre de soldats français et allemands étendus là devant nous qui ne sont pas enterrés. Et voilà toute la nuit nous serons obligés de jeter dans nos tranchées du désinfectant (à noter dans la journée de nombreuses grosses mouches). Enfin à deux heures et demie le jour commence à pointer et on se rassure un peu.

17 juin 1915 :

(…) Enfin il est 11 heures et la fatigue me gagne. Comme beaucoup de collègues, je m'affale dans le boyau enroulé dans mon manteau, la musette me sert d'oreiller. Ah bon dieu où est le bon plumard de la piaule. Tant pis c'est la guerre.

19 juin 1915 :

Les fusées lumineuses que lancent les Allemands de leurs tranchées effrayent les bleus qui n'ont jamais vu ça. Et avec tout ça, le canon gronde plus fort que jamais et ça dure jusqu'à 10 heures passées. Comme tous les autres je m'assois sur la terre trempée où nous passerons la nuit. Ah coquin de mois de juin, dire que l'on y grelotte quand bien même que l'on ait chemise, tricot jersey et le manteau et on est obligés de frapper des pieds pour se lever le froid comme au mois de janvier. Ah ! Marseille comme l'on te regrette. Ici il y a pas eu moyen de manger une cerise, à peine si dans les prés les cerisiers sont en fleurs ; surement que lorsqu'à la fin juillet elles seront mures, personne ne se hasardera à aller en cueillir car pour avoir une cerise, il pourrait revenir avec des pruneaux et tous les autres légumes. (...)

 

Interprétation et enregistrement contemporains (Aimé Brunet : Rémy Palmena, ingénieur son : Cyrille Carillon /Domino Studio)