8 juin 1915, récit des combats

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(…) Après la soupe, à 10 heures, nous partons aux terribles tranchées, celles où tant de camarades y ont été blessés. Le matin,nous avions vu aussi de nombreux brancardiers du 133ème transporter de nombreux blessés des leurs. Après 15 minutes de marche dans le boyau de la sapinière nous y arrivons. (…) mais bon dieu, on ne se voit pas fixés dans cette tranchée. C'est pas étonnant qu'il y ait tant de blessés. Pas un arbre qui nous cache, c'est la montagne abrupte, de la terre tendre et des pierres. Quand une marmite doit tomber sur le rebord de la tranchée, elle doit facilement envoyer tout en l'air. Les créneaux sont faits avec des sacs de terre. Enfin chacun de nous s'est vite rendu compte de la situation critique dans laquelle nous nous trouvons et dire que nous sommes venus ici pour travailler. On n'aura pas besoin de faire beaucoup de bruit car les tranchées ennemies ne sont pas loin. Du créneau nous pouvons voir le célèbre blockhaus que les patrouilleurs du bataillon aidés de réserves de la 9ème s'était emparé et où il y a eu de si nombreuses pertes et où malheureusement après avoir supporté pendant plus de deux heures un terrible feu de l'ennemi, les survivants furent obligés de se rendre. (…) Il est entouré aux trois quarts par un boyau et le tout bien garni de fil de fer. Au rebord de la tranchée, on peut voir étendus sur le dos les corps de deux chasseurs. Deux camarades, ils ont les vareuses déboutonnées ; on a du fouiller pour savoir leur état-civil. Ah, que de malheureux qui tombent ainsi sur le champ d'honneur. (..) Enfin après s'être un peu orientés les hommes se mettent à remplir des sacs de terre en grattant le fond de la tranchée. L'on va bien doucement mais bientôt le travail cesse car l'ennemi a du entendre du bruit et bientôt une douzaine de marmites de tous calibres tombent sur les bords de la tranchée sans causer d'accident à personne. Chacun se blottit à plat ventre et nous restons là très longtemps. Il n'y a rien d'amusant, un soleil terrible nous assomme et jusqu'à 4 heures nous fait souffrir. Enfin à 5 heures Pagès apporte la soupe avec l'ami Goulet. Chacun la mange sans grand appétit ; au rata personne y touche, seul le café est toujours apprécié. On nous dit qu'entre 7 heures et 8 heures nous serons relevés ; ça nous donne un peu d'espoir mais on se languit car les Allemands qui ont du entendre travailler du côté du 6ème leur envoie de grosses marmites dont les éclats viennent voltiger au dessus de nos têtes, et de temps en temps une s'arrête au notre. Ah ! Ce sont de terribles moments. A 8 heures, personne n'est signalé pour nous relever. On est impatients ; les marmites nous obligent à rester complètement allongés à plat ventre. A 8 heures et demie, rien n'est encore signalé de la relève, mais à partir de ce moment les marmites redoublent de tomber dans nos tranchées sans causer de grands dommages. Seuls les sacs de terre dégringolent mais les artilleurs allemands ont vite rectifié leur tir et bientôt ils frappent en plein au rebord arrière de nos tranchées. Deux obus frappent sur l'emplacement des hommes de Nougarède. Ugonie, Guitton, Marie se défilent en criant, se disant blessés. Dans la tranchée, il y a un peu de panique. Ah ! Ce sont de terribles, bien terribles moments.

Tout d'un coup, un puis deux, puis cinq obus et plus tombent tout près de nous. J'y vois tout rouge ; la terre tremble à notre alentour ; ça dure je ne sais combien de temps. On entend crier de toutes parts. Brun, qui est devant et auquel je me colle contre lui et lui contre moi, cherche à s'en aller. Je lui demande s'il n'a rien et il me dit que non. C'est un sac de terre qui nous tombe sur la tête, ça n'est rien ; il n'y a pas de mal. Deux obus éclatent je ne sais où mais du fait que l'on est suffoqué la respiration me manque, je me retourne, Régnier qui était derrière moi n'y est plus, Louis non plus ainsi que Guichard. A Révillé qui s'en va en courant, je lui demande de Louis, il me dit qu'il est parti en se disant blessé ; je suis inquiet, moi même je me sens touché au pied et j'en souffre au premier abord. J'ai bien cru avoir été touché mais il n'en est rien. Comme tout le monde se disait blessé, le croyant plutôt car surement pas un de nous n'avait été épargné par des éclats de pierre, chacun cherchait à se défiler. Sausset a de la peine à leur faire comprendre qu'on ne doit pas s'en aller.

De mon côté je rappelle les collègues de revenir à leur place. Louis retourne, il me dit qu'il a reçu un éclat dans les côtes mais que ce n'est rien. Reboul passe en courant, se disant blessé. Enfin il revient un peu de calme et tous nous sommes de nouveau à notre place. L'artillerie s'est un peu ralentie et l'on respire un peu. Chacun de nous se chaspe. Ah, bon dieu, quel terrible moment. Nous rangeons un peu la tranchée car il y a des éboulements et nous envoyons des sacs de terre. Nous restons tranquille encore une demie-heure et c'est à ce moment là qu'on fait passer que la relève arrive. Quel bonheur ! Ce sont des hommes du 133ème qui arrivent.

Comme il en arrive nous ne pouvons pas nous rentrer. Il aurait fallu qu'avant qu'ils rentrent dans la sape, nous autres, nous en soyons partis, car il y a là toute une compagnie. Les hommes arrivent en portant sur la tête un sac de terre, leur fusil, bidon, musette, tout l'équipement. Ça fait un vacarme terrible. Ils ont des pics et des pelles auxquels nous nous embronchons. Tout cela ne passe pas inaperçu des postes avancés allemands qui ont du en informer les artilleurs car c'est encore une pluie d'obus qui nous arrive, et il est impossible d'avancer. Nous sommes garés dans une autre sape, mais malheureux ! Si jamais un obus vient de ce côté nous sommes une vingtaine qui seront écrabouillés car là nous sommes pris de flanc. Nous entendons des hommes du 133ème qui crient. Ce sont les premiers qui ont relevé et ils sont déjà blessés. Enfin nous pouvons faire en arrière et prendre le boyau pour aller au poste du capitaine où nous avons, le matin, laissé nos sacs. Tout le long du boyau ce sont des hommes du 133ème qui sont là en réserve. Il fait une nuit noire terrible ; on s'embronche à tout moment. Nous ne savons pas où aller. Sausset et Daumas cherchent à voir le lieutenant sans y parvenir. Finalement ils nous disent d'aller avec les hommes de l'escouade coucher dans les cagnas de l'ancienne tranchée. On s'y rend comme on peut, il fait toujours nuit noire. De temps à autre on entend un collègue qui dégringole tandis que d'autres rouspètent et d'autres rigolent de leurs malheurs. Enfin, à minuit, avec Louis nous nous enfilons dans la casbah que nous occupions la veille. Nous sommes trempés de sueur. On nous défend de défaire les sacs, mais avec Louis j'ai vite ôté le couvre-pied du mien car il y aurait de quoi attraper le mal de la mort. Je défais la molletière et j'ôte mes souliers pour un peu voir ce que je peux bien avoir au pied. Ce n'est rien: une pierre qui est venue avec force se heurter à mon soulier, une égratignure quoi, et m'y a blessé au dessus du coup de pied. Il y a aussi de nombreuses marques bleues au mollet causées aussi par les pierres projetées par les obus. A la jambe droite il est de même, simplement au bas du mollet, au dessus des souliers, une grosse éraflure saigne un peu. Tout ça n'est rien et avec Louis on cause un peu de cette journée qui restera mémorable à nous tous qui y étions. Et nous nous endormons tandis que le canon gronde dans la direction des tranchées que nous venons de laisser.

 

Interprétation et enregistrement contemporains (Aimé Brunet : Rémy Palmena, ingénieur son : Cyrille Carillon /Domino Studio)